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Fairs
Design Parade Toulon 2025
Bousculé par le contexte, mais fidèle à son esprit, le festival Design Parade a tenu bon. Pour une ultime édition dans les murs de l’Ancien Évêché de Toulon, il a renoué avec sa vocation première : offrir une scène aux architectes d’intérieur de demain. Du 27 au 29 juin 2025, le lieu s’est mué en théâtre méditerranéen, vibrant de récits et de matières. Une dizaine de jeunes talents y a fait dialoguer mémoire et horizon dans un langage sensible.
Chaque installation, pensée comme un micro-univers, explore une tension subtile entre gestes artisanaux et récits personnels, toujours sur fond de réchauffement climatique. Cette année, c’est l’artiste, architecte et designer basé à Paris Harry Nuriev (Crosby Studio) qui a présidé ces récits spatiaux méditerranéens, grand habitué du détournement des matériaux. Retour sur les dix projets finalistes de cette édition, dix visions, tour à tour climatiques, organiques, mythologiques de la vie en intérieur, bien loin des conventions.
© Luc Bertrand
Villa des échos
En parrainage avec le Lit National, Thomas Takado, Grand Prix Design Parade Toulon Van Cleef & Arpels 2025, présente une installation mêlant matériaux végétaux glanés dans les alentours de la villa Noailles — feuilles, branches, cailloux — et structures métalliques standardisées. En confrontant la fragilité du vivant à la rigueur de l’industrie, il compose des assemblages en équilibre instable, où la nature se plie aux contraintes de la forme. Une œuvre à la fois poétique et critique, qui interroge la matérialité contemporaine et redonne corps à l’organique dans le champ de la création.
Submergé.e.s
Prix du Public 2025, Joanne Riachi & Magali Lamoureux, originaires du Liban et de Toulon transposent l’horizon à l’intérieur de la maison. Au cœur de l’espace, une large plateforme en pin sylvestre massif évoque les reflets mouvants de l’eau, offrant un lieu tempéré et respirant. Posés sur la table, les accessoires convoquent les rituels d’été propres aux cultures du Sud. Une lampe traversante éclaire à la fois le dessus et le dessous du plateau, révélant des objets antiques comme autant de trésors enfouis : fragments d’un héritage méditerranéen qui réémergent à la surface de la mémoire.
La vie aquatique
Avec le concours de la maison Delisle, Malo Gagliardini, Prix des Manufactures Nationales 2025, imagine une cuisine à la frontière du laboratoire et du lieu de contemplation. Pensé autour d’un dialogue chromatique entre l’ocre profond de la tomette provençale et des touches de vert évoquant la mer et la verrerie scientifique, l’espace se divise en deux temps : une cuisine-expérimentation, où les carreaux dessinent le plan de travail et les excroissances accueillant brûleurs mobiles, fioles et ustensiles d’aluminium sur mesure ; et une plateforme surélevée plus méditative, où trônent une table ronde et une seule chaise. Des bas-reliefs aux accents marins ponctuent le lieu, entre mythologie scientifique, formes organiques et poésie industrielle.
Latcho drom
Inspirée du pèlerinage des Saintes-Maries-de-la-Mer, l’installation de Raphaelle Lhuillier et Margaux Padrutt prend la forme d’une crypte habitée, chargée de récits et de réminiscences collectives. Parrainée par l’Atelier François Pouenat, elle rend hommage aux traditions orales et aux gestes rituels des communautés nomades qui convergent chaque année vers les rivages camarguais. Fragments de tissus, éléments glanés dans la nature, objets totems s’accumulent dans l’espace comme autant de traces d’un passage, d’un souvenir, d’un feu de camp. Au centre, un foyer circulaire agit comme point de rassemblement. La figure de Pisla, femme emblématique de la communauté gitane, convoque ici ses premières traversées, ses prières, ses légendes. L’œuvre célèbre la mémoire collective d’un peuple libre, spirituel, et profondément lié à la mer.
L’atelier d’été
Dans l’atelier de Marie Gastini, le peintre a disparu, mais tout parle de lui. Son absence est une présence diffuse, laissée en suspens entre les murs de cette pièce transformée en lieu de vie rudimentaire et poétique. Rideaux tirés à l’extrême, mobilier improvisé, murs maculés de couleurs : chaque recoin témoigne d’une recherche haletante, d’une obsession pour un sujet qui ne viendrait pas. L’installation évoque un été sans fin, où la lavande, le romarin et le citronnier s’infiltrent dans les étoffes, brodant les boutis, les peignoirs, les rideaux d’un parfum persistant. Les objets du quotidien – robes de chambre, bouquets, savons de Marseille – deviennent les indices d’un rythme lent, d’un temps dilaté. Une vie de repli, presque monastique, où la création se confond avec l’attente. Entre traces de gestes passés et accumulation d’objets figés, Marie Gastini compose une scène suspendue, délicatement absurde, où le processus artistique devient mirage.
Abri-terranéen
Avec le parrainage d’Ecart International, Pauline Labarthe transporte dans un futur apocalyptique de la Méditerranée où le seul repli possible se trouve sous terre. Entre cocon et bunker, cette pièce est une chambre où seul le nécessaire prime. Faite uniquement à partir d’objets existants, recyclés, réemployés, réenvisagés — un lit de camp vintage et des voiles recyclées — elle propose un futur dans lequel la vie des objets s’étend au-delà de celle de l’homme. Un paysage domestique en pointillés, fait de coutures apparentes, de failles assumées, de tensions visibles.
L’Agave et le Citronnier
En partenariat avec Pierre Frey, Pierre Bourré et Margaux Dinam-France installent les vestiges d’un jardin d’hiver abandonné. L’espace est baigné d’une chaleur étouffante. Le papier collé aux vitres et les couvertures de survie tendues à la hâte n’ont pas empêché la fuite des plantes. À leur place, des traces subsistent : empreintes de racines, épines éparses, silhouettes d’agrumes et de lavande, de romarin ou de succulentes. Au cœur de cette serre désertée, un bureau rudimentaire subsiste entre deux anciennes jardinières. À travers ces restes, les designers dressent une cartographie sensible de la flore provençale, mêlant espèces endémiques, plantes exotiques, invasives ou naturalisées.
Spot
Lumière tamisée par un écran suspendu, roche reproduite en plastique recyclé, parfum synthétique mêlant sel marin, crème solaire et fumée de chicha… Joseph Melka et Balthazar Auguste-Dormeuil explorent la calanque à travers Spot, soulignant la tension entre plaisir quotidien et dégradation environnementale via les matériaux recyclés et les atmosphères synthétiques.
Temperarium
Avec le concours de Codimat Collection, Raphaël Boursier Desvignes pense un séjour méditerranéen prospectif d’un futur proche, marqué par une chaleur persistante et une énergie devenue rare. L’espace, conçu comme un refuge autonome, tente de composer avec les nouvelles contraintes climatiques. L’espace s’organise autour de systèmes techniques détournés comme des stores et une table basse photovoltaïques. Les murs capitonnés d’un isolant multicouche révèlent leurs propriétés réfléchissantes, repoussant la chaleur tout en diffusant une lumière tamisée et naturelle. Au centre, un aérolustre — brasseur d’air oversize — anime l’espace et fait circuler la fraîcheur. Sol, plafond, parois, mobilier : chaque élément devient actif, impliqué dans une synergie thermo-résiliente.
Garmenting
À mi-chemin entre couture et architecture, l’installation d’Ania Martchenko et Antonin Simon Giraudet explore le geste d’habiller. Pensée comme une archéologie sensible du quotidien provençal, la pièce rassemble une constellation d’objets glanés, fragments d’usages anciens, devenus ici des corps à vêtir. Chacun est abordé avec la même délicatesse que l’on réserverait à une silhouette, dans une volonté de brouiller les frontières entre enveloppe, textile et bâtie. Sur les murs, un trompe-l’œil cousu sur mesure évoque la coupe d’un vêtement en cours d’assemblage. L’espace devient un atelier ouvert, un lieu où la fabrication reste visible, où les imperfections racontent le travail en train de se faire.