Quel jour, quelle heure est-il ? Que faites-vous habituellement à ce moment de la semaine ?
« Ça dépend. Chaque journée est différente, en général je travaille à mes divers projets, je lis et je cogite beaucoup. »
Les présentations ne sont plus à faire, Matali Crasset est une référence du design. Pas de celles qu’on connaît pour des projets clinquants ou des parti-pris esthétiques arrêtés, la créative française a vu sa réputation grandir grâce à son approche intellectuelle et sociale des objets et de l’espace, sur fond pop coloré.
Car chez Matali, le design se pense en science humaine et existe avant tout pour répondre à des besoins spécifiques. Sa dernière création pour l’association féministe AWARE, Archives of Women Artists, Research and Exhibitions, au sein de la Villa Vassilieff l’illustre à la perfection. Ici, l’espace devient une « bibliothèque sans fin », un lieu de médiation culturel pour enfants, ou une salle d’enregistrement. Avant tout utile et ludique.
Rencontre avec une anthropologue du design.
Quel jour, quelle heure est-il ? Que faites-vous habituellement à ce moment de la semaine ?
« Ça dépend. Chaque journée est différente, en général je travaille à mes divers projets, je lis et je cogite beaucoup. »
J’y ai notamment proposé un espace de médiation culturelle pour les enfants. Mais aussi ce que j’appelle une « bibliothèque sans fin » d’un bout à l’autre de l’espace d’archives. On y trouve également une salle de projection ainsi qu’une salle d’écoute et d’enregistrement.
J’ai aussi récemment désigné un espace adapté au projet de vie d’une personne. Elle souhaitait mettre en pratique son envie d’écriture dans un lieu adapté en bord de mer. J’ai donc travaillé sur l’idée d’une plateforme à multi-usages sur laquelle on peut s’asseoir, rêvasser, écrire, partager… »
Quelles sont les inspirations liées à ce projet ?
« Pour l’association AWARE, le but était de pouvoir créer un espace ouvert et modulable permettant autant d’accueillir les chercheurs et chercheuses que du public extérieur non avisé.
Le second projet était plus inspiré par des envies de cocon et de dynamisme joyeux traduites par les multiples possibilités d’habiter cette plateforme et ses couleurs vives. »
Un matériau récemment utilisé ?
« J’ai choisi du bois pour mon projet Plateforme puis de nombreuses autres matières pour le mobilier. Mais je ne fonctionne pas vraiment à partir du matériau. Ce choix est plutôt fonction des normes en vigueur dans les établissements ou de détails pratiques. »
Votre processus de travail ?
« Je n’ai pas de méthodologie unique. Ça diffère en fonction de chaque projet. Mais j’envisage beaucoup le métier de designer comme celui d’anthropologue car il doit avoir une compréhension du contexte dans lequel il travaille, être attentif à ses divers éléments et dans son cas précis, savoir traduire matériellement ses idées. »
Le design est donc un outil social ?
« Ce qu’on dessine est politique. Autant le diriger vers ce qu’on défend. Les sciences humaines et la réflexion en général donnent une bouffée d’air frais à mon travail. Je reconstruis mon métier en permanence pour m’adapter aux enjeux humains, écologiques et sociétaux. »
Qu’est-ce qui a influencé et façonné votre goût ?
« Les notions d’échelle et de territoire m’ont marquée. Je viens d’un village de 80 personnes en campagne où j’ai pu voir les relations d’interdépendance entre chacun de ses membres et comprendre ce qui se jouait au sein d’un groupe. La plus grande échelle humaine de la ville m’intéresse à ce sujet. L’interdépendance y est moins présente, alors comment peut-on y créer des liens malgré tout ? Et puis je m’intéresse aussi beaucoup au territoire et son appropriation. »
Votre rapport à la couleur ?
« J’aime beaucoup jouer avec les couleurs hors de la notion de bon ou de mauvais goût. C’est quelque chose qu’enfant on fait naturellement : choisir et mélanger de nombreuses teintes de notre choix.
Alors qu’adulte on a tendance à être beaucoup plus dans des conceptions visuelles souvent formatées et conformistes. Pourtant dans l’absolu, tout le monde est spécialiste de la couleur puisque c’est d’abord lié à des préférences individuelles. »
« Fonction. Je ne travaille pas un objet en dessinant une forme au départ ou avec une idée esthétique préétablie. Les formes ou l’esthétique sont générées par un parti pris qui est autre que visuel. En fait, je travaille surtout autour de rituels de vie et sur la façon dont on peut les envisager grâce au design. »
Vos 3 derniers coups de cœur artistiques ?
« La pièce d’Antoine Defoort Elles vivent au Centquatre sur le thème du débat démocratique et de la coexistence des idées. Le spectacle Nijinska / Un Boléro par le chorégraphe François Chaignaud à la Ménagerie de Verre et le livre Terre et liberté d’Aurélien Berlan. »
Une pièce design que vous admirez ?
« Une céramique de l’artiste Claudine Monchaussé. »
Deux personnalités qui vous inspirent ?
« Baptiste Morizot, un philosophe qui souhaite redonner toute sa place au vivant et qui pousse autant à comprendre qu’à agir.
Et Anna Tsing, une professeur d’anthropologie et autrice. Elle a une superbe façon d’expliquer les choses et de donner les ressources pour avancer sur des sujets environnementaux. »
3 comptes Instagram inspirants ?
Le lieu que vous aimeriez découvrir ?
« Le Familistère de Guise. C’est un industriel de génie qui a conçu petit à petit une communauté autonome, à l’époque à côté de son usine. Chacun avait sa maison avec beaucoup de lumières, il y avait un théâtre, une piscine, des espaces éducatifs… Aujourd’hui, ça devient un lieu de réflexion sur les pratiques sociales, culturelles et écologiques. »
L’architecte qui construirait la maison de vos rêves ?
« Il y a quelque temps j’aurais dit Oscar Niemeyer mais finalement je me rends compte que j’aimerais construire ma maison moi-même. »
Une scénographie qui vous a marqué ?
« Celle du film Annette de Leos Carax. »
Votre madeleine de Proust ?
« Les repas en famille et les endives au jambon qui me rappellent mon enfance. Mais aujourd’hui en version végétalienne bien sûr… »