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Le mood du photographe

François Halard

Avec François Halard, tout est une affaire de mémoire. Sans jamais être passéiste ou s’adonner à la nostalgie, le photographe joue avec la mémoire collective comme la plus intime. D’abord en suivant les traces de son idole le peintre Cy Twombly comme pour aller lui inscrire la mémoire de l’Antique et ses références dans un travail très contemporain. Ensuite, en allant photographier les intérieurs désertés des icônes de son enfance, de son adolescence ; dernièrement, il a capturé l’âme de la maison de Gainsbourg, rue de Verneuil. Enfin en revisitant ses images passées, François vient écrire sur ses tirages, couler de la cire ou encore les agrandir. D’ailleurs, François garde tous ses clichés depuis ses seize ans, il imagine des séries sur des dizaines d’années et travaille quotidiennement ses archives. Des palimpsestes à retrouver dans son dernier livre New Vision. Un troisième recueil pensé comme une mémoire qui reste, un objet qui va traverser les années. Rencontre avec un photographe hors du temps.

Votre mood du jour ?

 

« VOYAGEUR.

 

Je rentre de Grèce et je repars à New York demain pour une exposition. »

Casa Malaparte © François Halard

Pourquoi la photographie ?

 

« J’ai toujours voulu faire ça. J’avais des problèmes d’élocution enfant, j’étais quasi autiste en fait. Une des rares manières de m’exprimer était de regarder des images dans la bibliothèque de mes parents.

 

Puis, on vivait dans une maison qui a été souvent photographiée, je regardais les photographes qui venaient. Je séchais l’école les jours de shooting et j’observais : comment avec leur petite boite ils arrivaient à transformer une situation, à transformer un espace, à avoir un rapport de force entre l’extérieur et eux via une protection, cet appareil entre les deux. »

Papa © François Halard

QU’EST CE QUI A FAÇONNÉ VOTRE GOÛT ?

James Brown © François Halard

« Des lectures, des lieux. Puis la photo c’était la seule chose qui m’intéressait avec l’Art. C’était soit reconnaître des peintres, soit reconnaître des photographes. C’était très important pour moi. Je me souviens par exemple d’Helmut Newton venant photographier la maison, je le suivais. Avec tous ces shootings chez-moi, j’ai regardé énormément d’images. »

Julian Schnabel © François Halard

James Brown © François Halard

Vos premières photographies ?

 

 

« Je photographiais ma chambre, j’ai commencé aussi bêtement que ça. Et puis, Marie-Paule Pellé, qui était derrière le magazine  Décoration Internationale m’a dit tu n’as qu’à aller photographier tout seul la maison de tes parents à la campagne. Depuis, j’aime bien ce rapport solitaire avec la photographie. Ça m’arrive souvent de travailler seul. »

Louise Bourgeois © François Halard

Picasso, Brassai © François Halard

Votre rapport à la photographie ?

 

« Il relève désormais de l’intime. Très vite, au début de ma carrière, je suis partie à l’étranger, je suis allé vivre à New York au milieu des années 80. J’ai travaillé pour le Vogue américain, j’ai signé des campagnes pour Ralph Lauren, Calvin Klein… Et avec la pandémie je suis revenu en France, en me disant que c’était bien maintenant qu’au lieu de me concentrer sur la demande des autres, je me concentre sur la mienne. »

Comment le confinement a influencé votre travail ?

 

« J’ai fait une chose pendant le confinement : je prenais un Polaroïd par jour dans  ma maison à Arles. J’ai adoré ça. J’en ai fait un livre. Il faut m’enfermer, c’est là où je suis le plus productif.

 

Je me demandais comment dompter la lumière, qu’est ce que j’allais trouver comme idée sans sortir : en assemblant ce que j’avais, en changeant trois choses de place et en les regardant d’une manière différente… Je n’avais jamais eu ce temps là. Avoir du temps pour regarder sans autre obligation que de regarder et de photographier. J’ai découvert plein de choses. Ça a été le début d’un nouveau travail, d’une période. Il suffit de regarder ce qu’on a autour de soi, on est pas obligé d’aller à l’autre bout du monde. Quelquefois photographier un livre permet de voyager dans ce dernier. Ce projet m’a donné vraiment une grande liberté et à la fois il fallait trouver l’image juste. »

Albert Frey © François Halard

Louise Bourgeois  © François Halard

Comment qualifiez vos photos ?

 

« Je n’aime pas l’idée de la photo de décoration en tout cas, elle est trop documentaire et je n’aime pas ça. J’aime qu’on y sente de l’émotion. Et c’est vrai que c’est difficile de donner de l’émotion quand on photographie quatre murs. »

David Hockney © François Halard

Comment trouvez-vous les lieux que vous allez photographier ?

 

« C’est un peu une quête qui me fascine. Les gens qui me connaissent savent que je suis passionné par les anciens ateliers, les lieux à part, donc ils m’en proposent. C’est des rencontres. À chaque fois c’est différent. »

La Cupola  © François Halard

Venus © François Halard

POURQUOI PHOTOGRAPHIER CES LIEUX ?

« Pour photographier ses fantômes, des gens qu’on a admiré, qu’on a suivi. J’aime bien photographier l’idée du fantôme. Que ça soit Michelangelo Antonioni parce que c’est mon cinéaste préféré, Cy Twombly parce que c’est le peintre et l’artiste qui m’a le plus influencé à l’heure actuelle.

Louise Bourgeois © François Halard

École d’Athènes, 1961 © Cy Twombly

Michelangelo Antonioni

Louise Bourgeois © François Halard

Michelangelo Antonioni

École d’Athènes, 1961 © Cy Twombly

J’aime aussi l’idée de chercher les traces d’une amitié, je suis allé photographier l’intérieur de mon ami Peter Lindbergh.

 

Et aussi par intérêt intellectuel, j’aime beaucoup les ruines et j’étais, par exemple, ravi quand on m’a demandé d’aller photographier Palmyre. »

Le Désert rouge, 1964 © Michelangelo Antonioni

Comment s’approprier, derrière votre appareil, ces lieux mythiques ?

 

« J’essaye par une extra sensibilité d’être le révélateur de l’endroit que je viens photographier. C’est pour ça que je photographie toujours d’une manière différente les différents lieux. Je n’ai pas un système, ce que j’aime c’est à chaque fois adapter la manière de la prise de vue au sujet que je vais photographier. Et avec, maintenant, cette prédilection pour le Polaroïd, qui a un côté la fois instantané et nostalgique. Puis après, comment après transformer ces images là sans les recadrer. »

Anh Duong © François Halard

Anh Duong © François Halard

Comment retravaillez- vous vos images ?

 

« Je ne recadre jamais le plan, dans les Polaroïds de toute manière on ne peut pas : il y a cette contrainte de la bordure blanche.

 

Soit j’écris, soit je coule de la cire sur les tirages. C’est une interprétation plus picturale de l’image, ce n’est ni de la peinture, ni de la photographie non plus. J’essaye de trouver comme ça un intermédiaire.

 

J’utilise les accidents de l’appareil, je les exploite comme un révélateur qui aurait mal tourné. S’il y a une tâche sur un tirage, quand je travaille sur l’image, j’essaye moi-même de refaire une tâche. Il y a un rapport avec la tâche, la trace. Je passe pas mal de temps à Arles à expérimenter. »

« J’ai aussi besoin quelquefois d’utiliser une de mes images pour une nouvelle création. Et au lieu d’avoir peur de la page blanche, on utilise ses photos pour y mettre d’autres choses. Il y a toujours ce rapport à l’image. »

D’OÙ VIENT VOTRE FASCINATION POUR L’ANTIQUE ?

Venus Adonis, 1978 © Cy Twombly

« C’est un thème récurrent de mon travail, qui s’est développé avec le temps, d’abord avec mon obsession pour Cy Twombly, ce peintre américain, qui a réussi à inscrire la mémoire de l’Antique et ses références pour en faire un travail très contemporain. C’est ce qui m’intéresse : comment cette réflexion sur l’Antique peut amener un travail moderne ? J’aime bien ce questionnement. »

Cy Twombly © François Halard

« J’ESSAYE DE RÉFLÉCHIR SUR LES ÉCRITURES, LE RAPPORT AVEC LES DIEUX, LA MYTHOLOGIE. »

Cy Twombly © Horst P.

Vos influences méditerranéennes ?

 

« J’y suis allé pour la première fois très tard, ça a été une découverte à la fois du paysage, de toutes ses références. Puis, j’ai beaucoup voyagé autour de la Méditerranée. Aujourd’hui, j’ai choisi des lieux de vie qui s’en rapprochent entre la Grèce et Arles. Un en hommage à la civilisation grecque et l’autre à celle romaine .

Là-bas, il y a ce rapport à l’architecture, à la ruine. Une chose qui compte beaucoup pour moi c’est le rapport à la mémoire, ce n’est pas un rapport nostalgique mais un rapport de référence. Quand je vais dans ces lieux, je cherche des traces. J’essaye d’être comme les sourciers, ces chercheurs d’eau avec une baguette. »

Vos derniers sujets pour vos photographies ?

 

« À New York, je présente une série de douze images de fleurs agrandies, qui ont aussi un rapport avec le passé, avec l’idée que ça va se défaire. J’ai envie de m’attaquer aux sujets de la peinture : la fleur, la nature morte… »

Red, Galerie Ruttkowski ; 68 © François Halard

Charlotte Gainsbourg © François Halard

Votre prochaine commande ?

 

« Déjà, pour le travail de commande, je n’accepte que ce qui me fait vraiment plaisir. Là, je viens de faire la couverture du M le Monde avec la maison de Serge Gainsbourg et des photos de Charlotte. J’avais toujours rêvé d’aller dans cette maison, pour moi c’était vraiment une icône d’adolescent. J’aime bien retrouver des icônes de l’enfance, de trafiquer avec la mémoire, de la revisiter, que ça soit la mienne ou celle des autres. D’avoir un jeu comme ça. »

Polaroïd Maison Serge Gainsbourg © François Halard

Polaroïd Maison Serge Gainsbourg © François Halard

Sur quelle temporalité pensez-vous vos projets ?

 

« J’aime bien faire des projets sur le très long terme, même si ça me prend cinq ans, dix ans, ça ne me gêne absolument pas. »

Villa Médicis © François Halard

Comment avez-vous pensé à votre maison à Arles ?

 

« Je l’ai acheté en 1989 parce qu’elle me rappelait la maison de Cy Twombly, à Bassano. Tout le monde m’avait pris pour un fou à l’époque, comme c’est quand même très grand et en très mauvais état. C’était une aventure. Je l’ai pensée comme faire un tableau en 3D.

 

Toutes les collections de choses que j’avais accumulées autrefois se sont retrouvées à Arles, par accident. Les strates de mes voyages se sont accumulées là, les mémoires et les bibliothèques. Et puis quand je me suis séparée de mon appartement à New York, j’ai transféré toutes mes archives là-bas. Donc il fallait aussi de la place. J’ai énormément d’archives. J’aime bien travailler aussi avec l’idée de l’archive, l’idée que les photos vont rester. Je fais très attention à garder cette mémoire, que j’ai eu la chance de traverser. J’ai conservé toutes mes photos, depuis que j’ai seize ans. »

Visite Privée, Arles © François Halard

Visite Privée, Arles © François Halard

Votre dernière collaboration en date ?

 

« J’ai travaillé avec un garçon que j’aime beaucoup, il s’appelle Paul Olivennes, il vient de sortir une publication appelée MAGMA, c’est sur la littérature et l’Art. J’ai ressorti les photos que j’avais faite il y a quarante ans de la villa Palagonia qui avait été décrite dans un livre de Goethe “Le voyage en Italie”. Quand j’avais lu le livre, j’avais pris un billet d’avion et j’étais aller voir de quoi il s’agissait. Un coup de cœur. Et pour MAGMA, j’ai repeins sur ces photos. Je continue un travail que j’avais commencé il y a déjà longtemps. »

Villa Palagonia, Magma publication © François Halard

POURQUOI COLLECTIONNER ?

« Souvent les gens ont une collection comme un statut-symbole, ça ne m’intéresse pas du tout. Je le fais pour pouvoir justement m’en servir comme matière photographique et transformer la maison en atelier. Je vais penser à quelque chose en les observant ; regarder un livre ; le prendre en photo ; puis agrandir le Polaroïd fait. Tous ces objets sont du matériel vivant et non pas figé.

 

Après, j’aimerais en faire une fondation, je ne sais pas… Trouver quelque chose qui permette de garder cette mémoire comme ça, dans son entièreté. C’est important de savoir que l’on travaille pour une chose qui peut exister après vous, je ne dis pas qui va mais qui peut.  »

Salle de bain, Arles © François Halard

Books collection, Greece © François Halard

Gods First © François Halard

Votre rapport aux livres ?

 

« J’aime bien faire des livres par rapport aux journaux, parce que ça reste. C’est comme une mémoire qui reste, un objet-témoin. »

LES LIVRES À CHINER SUR LEBONCOIN ?

Maison Arles © François Halard

Des écrivains qui vous inspirent pour imaginer vos images ?

 

« Un ami, Oscar Humphries, avait fait une exposition de mon travail sur son rapport à Proust. Il avait fait des associations.

Sur la Grèce, il y a évidemment Homère. Cette influence de la Méditerranée. Notre culture vient de là. »

Pour ou contre Instagram ?

François Halard 3, New Vision © François Halard

« Pendant un mois et demi, je n’ai pas mis une seule photo. C’est formidable mais souvent ça empêche plein de choses. C’est pour ça que je fais des livres aussi, surtout le dernier où chaque sujet est développé sur un grand nombre de pages. Il y a dix-huit, vingt, vingt-cinq pages sur le même sujet, c’est pour prendre le contre-pied d’Instagram où tu regardes vingt-cinq photos dans la seconde. Obliger les gens à regarder la même chose sur un temps long, c’est intéressant. »

Grèce © François Halard

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