Votre Mood du jour en 1 mot ?
Enfant, il lisait les revues Domus. Adolescent, il aidait des amis marchands. Adulte, après avoir suivi des études de cartographie et travaillé en agence de pub, il invente son métier, désormais il sera chasseur de mobilier.
Le déclic arrive après un voyage initiatique aux États-Unis où Gilbert Kann accompagne des marchands, amis de la famille. Un conteneur rempli plus tard avec ses trouvailles, il fait de sa passion des arts décoratifs du XXe siècle une véritable obsession. À son retour, il publie un guide : le Paris Design. Depuis, il chine sans relâche, pour des amis ou l’aéroport de Paris, le Bon Marché ou Florence Foresti. Un psy du meuble, comme il aime se définir, qui passe ses journées à jongler entre les décennies, au gré de ses traques. Rencontre.
Votre Mood du jour en 1 mot ?
Votre premier contact avec les arts décoratifs ?
« J’avais une grande tante, qui était une femme très élégante, qui nous recevait toujours au champagne. Elle avait un intérieur incroyable avec des pièces totalement folles. Et sinon, à la maison, on avait des tabourets Perriand et avec mon frère on démontait les pieds pour se taper dessus. »
« À huit ans je lisais les magazines Domus. J’ai toujours été un férue d’architecture et de mobilier d’art décoratif, je crois.
Quand j’étais au lycée, j’aidais des amis de mes parents qui avaient des galeries.Traîner avec ces marchands en permanence, voir ce qu’ils défendaient, comprendre certains mouvements, ça forme. »
Quel est l’ADN de votre métier ?
« Les histoires. J’aime raconter des histoires avec les meubles, j’adore qu’on intègre le mobilier dans une conversation. Je parle donc de “ligne éditoriale” pour mes projets de curation. »
Pour vous les meubles racontent des histoires ?
« Oui, la lampe de Serge Mouille par exemple. Serge a 23 ans, il va voir André Bloc régulièrement, un grand architecte à Meudon. Il est déprimé car il est avec une femme avec qui ça se passe mal. Dans le train Paris – Meudon, il y a un gars qui le repère, il s’appelle Jean Adnet, c’est le frère jumeau du designer Jacques, et ensemble les frères organisent le Salon des arts décoratifs à Lille. Serge Mouille, lui, en fin de compte c’est un ferrailleur, il travaille la tôle. Alors, pour le sortir de sa torpeur, Jean Adnet lui demande de faire des lampes pour ce salon et Serge invente la rotule qui permettait de pivoter les lampes.
Serge rencontre le galeriste Steph Simon et par son intermédiaire les architectes et designers en vogue. Serge Mouille tombe fou amoureux de Charlotte Perriand, il se prend une veste. Elle est avec Pierre Jeanneret, le cousin du Corbusier. Il n’aime pas le groupe, Le Corbusier est détestable avec lui, il lui rappelle d’ailleurs que c’est un ferrailleur.
Jacques Adnet se rend compte que Serge est en train de plonger à nouveau et il lui propose de partir avec lui en Afrique, où il a une villa à faire. Serge se retrouve au Sénégal, sur une plage, il pense à Charlotte Perriand, et là il y a une femme africaine qui passe devant lui seins nus. Et c’est comme ça qu’il a dessiné ses fameuses appliques, avec la forme du sein et du téton. »
Comment les designers racontent leurs époques ?
« J’adore l’exemple Jacques Adnet, c’est un décorateur du 20ème siècle. La première guerre mondiale éclate, le métal est de mauvaise qualité car tout va pour l’armée, les décorateurs n’ont plus rien. À l’époque on faisait encore la guerre avec les chevaux et il y avait des selliers. Il a une idée incroyable : prendre du cuir, celui des chevaux qui sont morts, des vaches. Il a à sa disposition des selliers qui ont fait des selles toute leur vie. Donc il habille des pièces de cuir. Elles sont gainées entièrement même le métal est recouvert donc on ne voit pas s’il a des défauts. Dans cette période-là, tout est légitime. »
L’époque impose aux designers des manières de faire ?
« Ce fut le cas lors de la seconde guerre mondiale c’est là où naît le design. À l’époque, on est très fort d’un seul coup dans une industrie de guerre pour créer des machines outils. La guerre se finit, on fait quoi de ces machines-là ? Jean Prouvé en récupère, il sait travailler le métal. Il imagine le pied compas, pourquoi ? Comme le métal était encore de mauvaise qualité, cette forme là permettait de supporter des poids très lourds. Et Jean Prouvé, il ne voulait surtout pas que ça ait une cote, lui ce qu’il voulait c’était produire et répondre aux demandes d’ameublement des administrations. »
Et aujourd’hui ?
« Aujourd’hui il n’y a plus de manifeste, les guerres ne sont pas chez nous heureusement et on vit depuis plusieurs décennies dans une sorte de paix, le design se développe, continue, des nouveaux matériaux arrivent mais on n’a pas de vraie contrainte.
Je rêve d’enfermer pendant deux ans des designers dans une résidence d’artiste et de leur demander : “Qu’est-ce qu’un banc ? Qu’est-ce qu’une assise ? Qu’est ce qu’une table ?” »
Un come-back pressenti ?
« Notre métier c’est d’être précurseur et de prescrire quelque chose d’avant-gardiste. Aujourd’hui du Martin Szekely, ça s’arrache alors qu’il y a 4 ou 5 ans personne n’en voulait. »
Pourquoi collectionner ?
« Je suis collectionneur par défaut. Il y a un truc qui me gêne dans la collection aujourd’hui c’est le côté très spéculatif. Le mobilier à la base il n’y avait pas comme dans l’histoire de l’Art contemporain d’achat purement spéculatif, dans l’Art décoratif il y avait des gens qui cherchaient des pièces à part, des dingues d’un style. »
Le style que vous recherchez ?
« Je n’ai pas un seul style prédéfini, chez moi je peux avoir un lustre de Joseph-André Motte comme je peux avoir une enfilade de Hans Wegner, comme du Paulin, c’est très héréroclite.
Je suis transversale sur tout le 20eme et le style de mes clients est assez large, je peux partir d’une pièce de Jacques Adnet le matin puis aller chiner une pièce de Ubald Klug dans la même journée. »
Quel rapport a-t-on au temps quand on s’intéresse au mobilier ancien ?
« Je ne veux pas du tout être passéiste, la force c’est la jeunesse, on le voit avec les jeunes marchands qui osent beaucoup plus les mélanges. »
Votre rapport à l’objet ?
« Je n’ai pas du tout une optique de propriétaire, je suis heureux que les pièces que je recommande à mes clients soient chez eux. J’ai une collection dans le monde entier, comme ça, c’est la plus belle des collections. Je sais que ça existe, c’est là. Comme je n’ai pas un côté spéculatif, je n’ai pas trop un langage commercial, je suis très content quand mon client fait une belle affaire et qu’il vit avec. »
« J’ai une maison à la campagne et ça devient n’importe-quoi. C’est un capharnaüm. À Paris ça va mais là-bas pas du tout. Il me faudrait un hangar, j’ai un rapport sentimental avec ces pièces, je ne peux pas les vendre. J’ai par exemple une lampe Snoopy que ma mère m’avait donné et dont je ne peux pas me séparer. »
Comment se renouvelle-t-on quand on chine ?
« Mes clients changent et ils sont tellement différents. Là, je viens de finir un hôtel particulier dans le 7eme arrondissement, c’est une cliente qui est plutôt Art Déco que l’on va secouer avec des pièces modernes mais pas trop. On va mettre de la Maison Charles avec des créations de Félix Agostini, une pièce de Michel Pigneres… Je l’amène là-dessus car au départ elle était très classique. »
Vous faites rentrer les arts décoratifs dans les magasins de luxe ?
« Oui, j’ai commencé il y a un moment avec Le Bon Marché Rive Gauche, ce grand magasin a la légitimité de raconter l’histoire des arts décoratifs, Je chine pour eux des pièces depuis longtemps, et petit à petit on a commencé à transformer ce magasin en un appartement parisien.
J’ai aussi signé la curation de la boutique Michel Vivien avec Sophie Dries. »
Le projet qui vous a occupé dernièrement ?
« Le Terminal 2G avec l’architecte Dorothée Meilichzon. J’ai par exemple commandé une œuvre à Jean-Marie et Marthe Simonnet, je les soutiens depuis 20 ans. »
Les décorateurs qui vous inspirent ?
« Studio KO pour le musée Saint Laurent ; David et Nicolas ; les Mailaender, les deux, Thomas et Marion.
L’architecte qui construirait la maison de vos rêves ?
« Franklin Azzi ou Dominique Perrault, ou Stefano Marano chez Renzo Piano qui est un pote. »
Le lieu culturel où vous pourriez retourner toutes les semaines ?
« Le Louvre, quand j’étais petit ma mère nous déposait à vélo, j’avais sept ou huit ans, on avait le droit avec mon frère de faire une aile du Louvre, on restait une demie-journée, enfermés dans le musée. On n’avait pas le droit de sortir avant qu’elle revienne nous chercher. »
Votre musée préféré ?
« Le plus beau musée c’est Noguchi à New York, les gens se jettent au MET ou au MOMA. Mais il faut aller dans le Queens, se poser là-bas, j’adore.
Et en France, Beaubourg, c’est un terrain de jeu pour moi. »
Une bonne adresse ?
« Le restaurant Dante, rue de Paradis dans le 10ème à Paris pour lequel j’ai chiné des pièces. »
Un décor de film qui vous a marqué ?
« La Piscine de Jacques Deray, car il est complètement improbable. J’aime pas le décor en tant que tel mais son histoire. C’est Gae Aulenti qui a imaginé les décors. Ses chaises Locus Solus, qui sont jaunes dans le film, ont été vendues par Prisunic, c’est dingue. »
« Tout le monde regarde Romy Schneider dans le film, mais il faut savoir que tout au long de la piscine, c’est que des pièces de Roger Tallon (j’ai écrit un livre sur lui), à l’époque il imagine le Module 400 pour une boite de nuit à Paris, qui malheureusement ne verra pas le jour mais il a dessiné un mobilier extraordinaire. Gae Aulenti, parce qu’elle sait que son ami Roger Tallon est en galère, sélectionne son mobilier au bord de la piscine, alors que ce n’est pas du tout un mobilier de jardin. »
Pour ou contre Instagram ?
« Mon Instagram, c’est que mes conneries, mes coups de cœur. Ça a pris de l’ampleur mais je n’y suis pour rien, les gens pensaient que j’étais un Instgrammeur à un moment, j’ai failli le fermer. Comme je travaille sur beaucoup de documents, notamment des revues anciennes, je tombe sur des pépites en bossant sur un projet et puis je les partage. »