« Quand j’étais jeune, j’étais hyperactif et très sportif, je pratiquais beaucoup de disciplines différentes. Il fallait me canaliser, m’occuper… J’étais aussi assez casse-cou, je prétendais vouloir être cascadeur plus tard. J’étais assez à l’aise pour monter dans les arbres et me jeter, pour sauter par la fenêtre, pour courir dans les escaliers… »
TODAY I DID NOTING : c’est le leitmotiv préféré de l’artiste Thomas Lélu et également le nom de sa dernière exposition à La Cité. Pourtant, l’ancien élève des Arts Déco multiplie les projets : livres de photos, romans, collages déroutants et aujourd’hui une série de maximes publiée sur Instagram pour la plus grande joie de ses 500 000 followers, de votre voisin de métro à Snoop Dog en passant par Diane Keaton.
Héritier de l’esprit post-dada, punk, Thomas cultive l’absurde armé de son stylo-bille. Mais quel que soit le médium, ordinaire, qu’il choisit, son travail s’inscrit dans une démarche sérielle où le langage écrit, dessiné, parlé a le premier rôle. Avec les années, les terrains de jeu de Thomas changent ; direction artistique de la Galerie Perrotin, directeur de la création du magazine Playboy France, programme de résidence avec les hôtels Amour, expositions ambitieuses dans sa galerie la Cité. La liste est longue… Thomas sait jouer avec les codes et influences de la musique, la mode, la pub pour écrire le chapitre créatif inattendu.
Qu’est-ce qui a influencé et façonné votre goût ?
« Beaucoup de choses ont eu une influence, on ne sait jamais à quel moment ça démarre vraiment une passion ou une vocation. En l’occurrence, pour ma part c’est une passion pour la création, pour l’art de manière assez générale, je suis actif sur pas mal de médias différents.»
« Je n’étais pas mauvais à l’école mais pas plus captivé que ça, je m’ennuyais. Pendant les cours, j’étais tout le temps en train de faire des dessins sur mes cahiers, croquis de mes profs, des autres élèves. Progressivement le dessin est devenu une sorte d’occupation parallèle permanente. »
Comment votre environnement familial vous a encouragé à créer ?
« J’ai grandi à la campagne avec des parents intellos de gauche, un peu hippie, mon père enseignait la littérature et ma mère était éducatrice spécialisée puis psychanalyste. Mon père avait aussi une troupe de théâtre de rue à laquelle j’ai participé très jeune. C’était assez génial. Il y avait évidemment beaucoup de livres dans la maison. J’ai été éduqué avec une sorte de grande curiosité artistique, intellectuelle et relationnelle.»
Quel est votre premier choc esthétique ?
« C’est passé quand même par la peinture, notamment pendant un voyage en Autriche au musée du Belvédère à Vienne où j’ai eu une sorte de choc visuel devant des œuvres de Gustave Klimt et Egon Schiele, d’Oskar Kokoschka… Je me suis mis en tête que j’allais devenir artiste-peintre. Je suis rentré dans un lycée technique à Nantes et à l’époque il y avait une option Art Appliqué, assez rapidement j’ai commencé à me mettre à la peinture. J’ai fait mes premières expos dans des cafés, dans des bars. C’était assez figuratif. »
Comment êtes-vous passé de cette envie de devenir peintre à votre carrière très multidisciplinaire ?
« J’ai passé ensuite différents concours d’école d’arts dont les Beaux-Arts de Paris, c’était un peu mon rêve d’aller à Paris et… je n’ai pas été pris. La seule école où j’ai été accepté c’était les Arts Déco. Et quelque part, c’est une école qui répondait assez bien à mon état d’esprit. Au début on commence le cursus avec une formation assez générale ou on aborde à la fois les questions de l’espace et les questions d’image et ensuite j’ai choisi de me spécialiser en communication visuelle. »
« J’avais des enseignants qui étaient des anciens membres du groupe Grapus, un collectif dans les années 80 qui a fait énormément de campagne de publicité. Ils ont vraiment marqué les esprits, c’était un graphisme d’utilité publique, un graphisme engagé avec des propositions artistiques formelles très innovantes. Il y a beaucoup d’artistes plasticiens qui sont passés par ce collectif.
On avait, à la fois, des cours d’art mais on avait aussi des cours optionnels : musicologie, histoire du rock, montage au cinéma, ésotérisme… Ça nourrit la curiosité et ça donne à notre approche de la création des ouvertures beaucoup plus vastes, c’est pas juste des techniques de peinture, tout à coup on aborde la création par des prismes très très variés. »
Les artistes qui vous ont inspiré à cette époque là ?
« J’ai découvert toute une génération d’artistes qui eux-même étaient passés par les Arts Décos à savoir Pierre Huyghe, Pierre Bismuth, Xavier Veilhan… C’est à ce moment-là que ma vision de la création a un petit peu évolué, j’ai quitté le domaine de la peinture pour aller plus vers une approche plus intellectuelle, conceptuelle de ma pratique et où la question du support est passée de la toile à l’objet imprimé, à l’édition, aux posters, aux supports papier. »
Une figure particulièrement inspirante ?
« J’ai travaillé avec un groupe qui s’appelait Accès Local, qui m’avait invité à participer à une exposition collective curatée par Hans Peter Feldmann. Ce dernier est un artiste allemand qui m’a aussi beaucoup influencé, il a fait de nombreux livres, tous très inspirants. »
Cette notion de groupe vous marque encore aujourd’hui ?
« J’aime les projets collectifs, ma pratique artistique est indissociable d’une écoute, d’échanges, de dialogues. »
Quel est votre processus de créations pour vos aphorismes postés sur Instagram ?
« Tout est parti de la lecture d’un livre « Tu dois changer ta vie » de Peter Sloterdijk, l’auteur s’intéresse à la notion d’exercices, comme des sortes de rendez-vous ritualisés avec soi-même au quotidien. L’idée étant de mettre en place un protocole. Pour moi c’est passé par la rédaction de ces mantras. La majorité du temps, j’en écris plusieurs à l’avance, puis je les classe, je les choisis. J’aime l’idée de les organiser. »
L’endroit d’où vous aimez créer ?
« Mon lit. »
Si vous deviez choisir un seul de vos textes, lequel ça serait ?
« TODAY, I DID NOTING. »
Votre meilleur allié ?
« Le stylo-bille. »
Instagram est devenu votre laboratoire digital, quel est votre rapport à la plateforme ?
« J’adore l’idée que mon travail se propage au plus grand nombre, de votre voisin dans le métro à Snoop Dogg. C’est moins élitiste que les livres, la plateforme m’a permis de diffuser ma pratique artistique à une plus grande échelle. »
Le dernier créateur que vous avez repéré ?
« Léa Colombo que j’ai exposé dans la galerie La Cité.”