Benoît Pierre Emery a fait ses classes à l’École des Arts Décoratifs de Paris et au Royal College of Art de Londres. Homme de goût, il s’intéresse à l’art sous toutes ses formes et tout particulièrement au travail de la soie pour sa folle collection (plus de 10 000 carrés). Cette curiosité innée forge son humilité devant l’immensité de tout ce qui a déjà été fait. Son parcours professionnel reflète la variété de ses goûts et de ses lubies : sous sa casquette de directeur artistique, il s’est penché sur l’édition, la scénographie, l’identité visuelle de marque.
À force de collectionner des carrés de soie, Benoît Pierre a fini par en dessiner. C’était il y a plus de vingt ans. Il signe alors des carrés pour sa propre marque puis pour Hermès. C’est le début d’une longue et fidèle collaboration. La ronde des carrés de soie l’emmènera finalement dans l’assiette : Benoît Pierre devient directeur de la création de la table Hermès en 2013. En dix ans, il tisse des liens avec des artistes singuliers avec qui il collabore au gré des collections. La dernière en date, nommée « Tressages équestres », convoque les dessins de Virginie Jamin. L’illustratrice est une habituée à l’exercice des carrés Hermès : un lien – encore un – à la première passion de Benoît Pierre. Rencontre.
Quel jour & heure est-il ? Que faites-vous habituellement à ce moment de la semaine ?
« Vendredi 10h : habituellement je suis à mon studio ou je me rends au Faubourg présenter les nouveaux projets à l’équipe, et à nos Directeurs Artistique d’Hermès Maison,Charlotte Macaux Perelman et Alexis Fabry. »
Votre humeur du jour ?
« In Good-moods today ! »
Votre madeleine de Proust ?
« Pas de madeleine mais plutôt un palmier que je dévorais enfant. Celui des quelques rares pâtisseries qui continuent à en créer. »
Votre premier choc esthétique ?
« Un carré en lin de Picasso, en quatre couleurs, créé pour les journées mondiales de la jeunesse en 1951. Il trônait encadré sur un chevalet dans le salon de mon oncle. »
Qu’est-ce qui a influencé et façonné votre goût ?
« Les expositions, les livres et les rencontres… Ma grand-mère paternelle également, elle était curieuse de tout et s’émerveillait de la beauté du monde à chaque instant. »
Quels sont vos rituels pour créer ?
« De la musique et puis je range souvent pour avoir un espace clair et vider mon esprit. »
Le projet dont vous êtes le plus fier ?
« Impossible de n’en citer qu’un seul. Je dirais le service de porcelaine Rallye 24 et le service Mosaïque au 24, comme une fresque dans l’assiette.
Mais également la ligne d’objets Équilibre créée avec un collectif composé de designers Hermès et de designers indépendants. »
Qu’est ce qu’Hermès vous a appris ?
« Sans doute la patience et la persévérance, les belles choses prennent du temps ! Mener à bien un projet tant sur l’aspect créatif que sur le process de mise au point et de fabrication, est un parcours parfois semé d’obstacles. Il faut aussi composer avec les limites de la matière. Chaque détail a son importance y compris le détail caché, le détail que l’on découvre parfois après avoir acquis l’objet en vivant avec lui. Je pense par exemple à la doublure en cuir de la poche de mon manteau, c’est un détail invisible mais qui fait toute la différence en le portant. »
Comment passe t-on de la soie à l’art de la table ?
« Assez naturellement, du carré au rond !
Mais à la réflexion sur le motif vient s’ajouter la réflexion sur la forme. L’exercice est plus multiple dans le sens ou il faut créer une subtile architecture de pièces qui se superposent et dialoguent les unes avec les autres pour qu’elles trouvent un équilibre et une certaine harmonie. »
Comment les rencontres dictent votre travail ?
« Les rencontres sont bien-sûr décisives et c’est vraiment ce qui m’inspire ! La maison est curieuse et ouverte sur le monde. Nous faisons donc appel à des talents très divers et des expressions artistiques très variées. Le dialogue qui se crée avec un artiste est bien-sûr essentiel pour chaque projet. Il faut trouver un point d’équilibre entre le style de celui-ci et l’identité de la maison. »
Les dessous de la collection Tressages Équestres ?
« Comme pour chaque nouvelle collection, il y a une première intuition, des premiers essais et petit à petit émergent les premières pistes, les premiers dessins. Suivent ensuite de nombreux prototypes et des échanges constants avec les ateliers. C’est à la fois un accompagnement d’une œuvre individuelle, celle d’un artiste et la réalisation d’un projet collectif.
Un dialogue très naturel s’est établi avec Virginie, une entente immédiate. Dès les premiers croquis, les premiers dessins, l’impulsion générale du service était posée. »
Quelles sont les inspirations liées à cette ligne ?
« Ce nouveau service propose un regard inattendu sur le monde du cheval, en mettant en lumière les détails de passementeries et de tressages utilisés sur les harnachements, les fouets et les cravaches.
Virginie Jamin a été choisie, pour sa main singulière qui allie sensualité du dessin et rigueur d’exécution. Elle a puisé son inspiration au sein du Conservatoire des collections Hermès. »
Qu’est-ce qui vous attire dans l’univers équestre ?
« L’esthétique liée à l’univers équestre est multiple et très riche. J’adore en particulier l’esprit sport chic, le côté très graphique des casaques et des barres d’obstacles. »
« Il y a aussi l’élégance des jockeys, la simplicité et la pureté des harnais et des selles et bien sûr la beauté majestueuse des chevaux. »
Tressages équestres fait la part belle à l’artisanat, comment ce dernier se réinvente-t-il ?
« À chaque nouveau projet, de nouveaux enjeux se présentent et font évoluer les techniques. En trouvant des solutions par rapport à des sujets très concrets, l’artisanat se renouvelle et progresse, élargissant sa technique et le champ des possibles. Je pense que c’est sans doute le meilleur scénario pour faire évoluer les choses, peut-être plus que la recherche fondamentale parfois un peu éloignée de réalités concrètes. »
Quels sont les secrets d’une table réussie ?
« La présence des personnes que l’on aime autour, le reste est finalement assez accessoire !
Idéalement il faut trouver la note juste, le style de la table devant s’accorder avec l’occasion. La table doit produire une émotion forte comme lorsque l’on est face à une installation éphémère. J’aime bien lorsqu’il y a de l’inattendu, un subtil télescopage de pièces et de styles. Je préfère aussi un chic retenu, plutôt qu’un table trop baroque.
Il faut aussi trouver une certaine harmonie entre la cuisine (le choix du plat cuisiné) et la table dressée. On ne dresse pas la même table si l’on déguste une bonne blanquette ou un curry de poulet aux feuilles de citron vert. Le style de la table doit s’accorder avec l’occasion. »
Où voudriez-vous dresser une table si tout était possible ?
« Sur la Lune en apesanteur ! »
Votre colormatch du moment ?
« Rouge H, gris chaud et bleu aqua/turquoise. »
Vers où vous tournez vous pour trouver l’inspiration ?
« Vers l’extérieur, la nature est la plus puissante source d’inspiration, pour les motifs, les formes et les couleurs. »
« Je collectionne aussi des choses assez diverses, avec bien-sûr un petit faible pour les carrés ! Ma collection de carrés vintage approche aujourd’hui les 10 000 pièces, ce qui témoigne sans doute d’un appétit certain et plutôt insatiable ! Elle nourrit des questionnements esthétiques et des réflexions sur la beauté et la création. C’est une influence au quotidien qui rend humble face à la richesse de tout ce qui a déjà été créé avant nous. »
Le livre ou magazine que vous adorez feuilleter ?
« Process Magazine et Openhouse. »
Vos derniers coups de cœur artistiques ?
« L’exposition du peintre Gilles Aillaud, à Beaubourg.
Et dans un autre registre, le documentaire Chef’s table. Ils ont tous un parcours de vie étonnant. »
La prochaine pièce design que vous aimeriez acquérir ?
« Une banquette Tokyo de Charlotte Perriand. »
Les artistes et décorateurs qui vous influencent ?
« Le peintre américain Ellworth Kelly, le décorateur relieur et illustrateur Pierre Legrain et l’architecte Makoto Yamaguchi. »
3 comptes Instagram inspirants ?
Le lieu culturel où vous pourriez retourner toutes les semaines ?
« Le Victoria and Albert Museum ou la Wallace Collection à Londres, le Musée d’Art Moderne Louisiana à Copenhague.
Et sinon la librairie-galerie Yvon Lambert et la Librairie 7L, à Paris. »