Styles
il y a 58 minutes
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On croyait connaître Rosalía. Tour à tour créature de flamenco, de reggaeton puis de motos rugissantes, aujourd’hui avec LUX, la chanteuse espagnole change radicalement de registre et se pose en madone des temps modernes. Conçu comme un oratorio-pop orchestral, lyrique et minutieusement composé, son nouvel album déroule ses tourments : amour toxique, doutes, culpabilité, pression d’être érigée en icône, avant de voir la lumière au bout du tunnel grâce à la foi.
Comme toujours chez Rosalía, le geste dépasse la musique. LUX s’incarne dans une mise en scène totale : listening party sous forme de chorale évangélique dans une église barcelonaise, pochette d’album où elle apparaît crucifiée, silhouettes néo-ecclésiastiques sur scène, et en dehors… La Catalane donne savamment dans le registre liturgique avec une touche très contemporaine. Rosalía s’intronise papesse d’une pop liturgique 2.0. Habemus papam.
Religion
Musique
Médium
Voix
Registre
Néo-liturgique
Icône
Rosalía de Palermo
Rosalia dévoile son album LUX à travers une listening party dans une église à Barcelone © Sony Music / Respective Collective
Construit autour de quatre parties, « la pureté, la gravité, la grâce et l’adieu », l’album esquisse un parcours spirituel, porté par le London Symphony Orchestra. Les quatre mouvements vont du chaos sensuel et violent, à la nuit et au doute, en passant par la confrontation avec le divin, pour se terminer sur une forme de pardon, d’apaisement, presque d’élévation finale.
Rosalía transforme le drame intime en langage sacré. Elle mêle son récit personnel à celui des saintes qui l’ont guidée : Hildegarde de Bingen, Jeanne d’Arc, Olga de Kiev… et bien sûr Sainte Rosalie, l’ermite sicilienne dont elle porte le nom, qui aurait rompu ses fiançailles à la veille de son mariage. Un destin qui résonne comme un écho à son mariage avorté en 2023 avec l’artiste Rauw Alejandro.
Avec LUX, Rosalía rejoue la figure de la femme sainte recherchant la délivrance derrière le voile. Elle convoque l’iconographie des Vierges voilées et des saintes sacrifiées, avec une esthétique qui rappelle les bustes baroques (Bernini, Corradini, Sanmartino…) où le drapé épouse la peau, révélant en cachant. Ici, le voile n’est plus symbole de soumission : il devient armure, manifeste d’une femme qui reprend la main sur son propre récit.
Rosalía photographiée par Alex g. Harper pour Billboard
Rosalía pour Vogue China Plus Magazine ; © James Bee (corset Ellen Hodakova Larsson)
Parmi les saintes sacrifiées, Jeanne d’Arc s’impose en évidence : symbole de foi, de courage et de puissance féminine. Rosalía lui consacre un titre chanté en français, « Jeanne », caché sur les éditions physiques de LUX (CD et vinyle). En creux, elle interroge la douleur, l’abandon et l’injonction faite aux femmes à se purifier par la souffrance. Une dramaturgie qui réactive la fascination contemporaine pour cette icône de résistance féminine.
Durant toute sa promotion, Rosalía pousse le jeu liturgique jusqu’au clin d’œil papal. L’anneau du pêcheur argenté, les mules en cuir rouge, la soutane blanche, le salut hiératique, mais aussi l’annonce de l’album en mode « Habemus album »… Elle emprunte les codes de la papauté non pas pour prêcher, mais pour signer son propre couronnement avec dérision, affirmant une direction artistique totale, à la fois mystique et conceptuelle.