Elégance, fonctionnalisme et sens du détail, Necchi Architecture, fondé il y a seulement trois ans, se démarque déjà avec un univers singulier. Charlotte Albert et Alexis Lamesta se sont rencontrés sur les bancs de l’Ecole Bleue et ne se sont plus quittés. Le couple s’est fait connaître pour son talent à allier passé et présent, son penchant pour les matières naturelles, et son apprivoisement de la lumière qui donnent à leurs projets beaucoup d’allure. Necchi décline son esthétique et sa palette de teintes chaudes émaillée de touches vertes pour la boutique Stone à Paris ou pour des projets privés, comme un appartement à Saint-Germain-des-Prés.
Nourris par de nombreuses références pointues, de l’architecte Jacques Grange au peintre Josef Albers, Charlotte et Alexis préfèrent fuir Instagram, ses décors factices et ses effets de mode, pour définir leurs propres règles esthétiques. Rencontre avec ce duo d’architectes en quête d’intemporalité.
Quel jour & heure est-il ?
Charlotte : « On est mercredi, il est 8h. »
Que faites-vous habituellement à ce moment de la semaine ?
Alexis : « Aucune journée n’est identique, on évite de rentrer dans une routine très cadencée. »
Charlotte : « Je suis encore à la maison, je prends mon petit déjeuner, un moment que j’adore. Je cogite sur la journée à venir, j’essaie d’organiser les choses dans ma tête. »
Votre humeur du jour en un mot ?
Alexis : « Passionné. »
Charlotte : « Enthousiaste. »
Votre mood, vos envies créatives du moment ?
Alexis : « Prétendre être sculpteur, à la manière de Lalanne ou Philolaos dans leur maison de campagne, mais le talent et la vision de ces artistes me ramène à une certaine réalité. »
Charlotte : « On est encore dans l’expérimentation, on a envie de tester plein de choses moins conventionnelles. »
Votre madeleine de Proust ?
Alexis : « Les longs repas de famille et l’odeur des livres neufs. »
Charlotte : « La myrrhe et l’encens à l’Eglise. »
Le projet qui vous occupe le plus en ce moment ?
Alexis et Charlotte : « Une petite maison dans Paris, traitée comme une grande suite d’hôtel, fantasme d’une façon de vivre. »
Quelles sont les inspirations liées à ce projet ?
Alexis : « L’appartement d’un parisien non-conforme qui n’aurait pas peur de bousculer ses habitudes. Un peu kitsch et désuet, avec des fonctions d’utilisation presque superficielles. »
Charlotte : « Des codes très 90’s, on s’est beaucoup inspirés de Terence Conran. Tout est très amusant. On joue avec les formes et on utilise à outrance la même matière dans une pièce. »
Un matériau que vous avez récemment utilisé ?
Alexis :« On en revient souvent à l’inox. Toujours très connoté froid et réservé à un aspect hygiénique, il existe une palette de traitements qu’on découvre et qui fait qu’on le teste pour diverses utilisations. »
Selon vous, qu’est-ce qui a influencé et façonné vos goûts ?
Alexis : « On est plutôt de nature très curieux, on espère ne jamais avoir un goût défini. Pour ma part, je n’ai jamais reçu d’instructions sur la définition d’un certain goût, j’aime assez l’idée du “chacun son mauvais goût”. Même la laideur est belle. Notre goût sera peut-être de ne pas en avoir et de ne pas être donneur de leçon. »
Charlotte : « On a l’œil partout, on s’intéresse à tout ce qui se passe autour de nous, mais c’est surtout pour essayer de s’en éloigner le plus possible. On lit également beaucoup, on va toujours chercher le bouquin introuvable. Et être deux a aussi cet avantage : on se nourrit énormément mutuellement et surtout on se recadre quand l’un va trop loin ou est à côté de la plaque. »
Forme, fonction ou fantaisie ?
Alexis : « Pour moi, la forme est définie par la fonction. La fantaisie, c’est la touche poétique que chacun voudra voir. J’ai pas mal été conditionné par les écrits d’Aldo Rossi sur le sujet et je dois avouer que je me range de son côté. »
Charlotte : « Fonctionnalisme avant tout, la forme en découle ensuite. Mais pour être honnête, ça nous arrive que la forme soit le point de départ de la réflexion. »
Une gamme de couleur qui vous suit depuis toujours ?
Alexis : « Les teintes de beige réagissent bien avec la lumière : la perception varie du blanc jusqu’au jaune, parfois l’atmosphère paraît patinée, comme si on avait fumé pendant 20 ans dans ce lieu. »
Charlotte : « On est très attachés au vert, et ensuite toutes les couleurs très chaudes, le beige foncé, l’ocre, le rouge. »
Votre colormatch du moment ?
Alexis et Charlotte : « Rouge, marron, ivoire, des couleurs terreuses à l’image des peintures de Josef Albers. »
Vos derniers coups de cœur artistiques ?
Alexis : « Je découvre, tardivement, le travail de Park Seo-Bo. »
Charlotte : « C’est triste à dire mais ça remonte à loin maintenant… Je dirais la visite pré-enchère des pièces des Lalanne. »
Trois pièces design iconiques ?
Alexis : « Un tabouret cabanon de Le Corbusier, sa fonction primitive en fait un objet-outil sophistiqué, un set de couvert en argent par Josef Hoffmann de 1904 et la monographie d’Andrée Putman. »
Charlotte : « Un cabinet de Josef Frank, une chaise bola de Lina Bo Bardi et un tabouret X de Michel Boyer. »
Quels sont les créatifs qui vous influencent ?
Alexis : « L’imagerie du réalisateur Jacques Tati et, j’en reviens toujours au même mais tout ce qu’il a produit est inspirant aussi bien en peinture qu’en écrits, Le Corbusier. Et l’architecte Jacques Grange, pour sa manière inégale de traiter ses commandes. »
Charlotte : « La designeuse Andrée Putman, j’ai toujours admiré la justesse de son travail. Elle a porté le milieu de l’architecture intérieur des années 70 et 80 – une époque où la femme n’avait pas encore vraiment sa place. L’architecte Gio Ponti pour son sens inouï du détail, son utilisation toujours juste des matières et, avant tout, le grand raffinement de ses créations. François Catroux et Yves Saint-Laurent aussi. Leurs intérieurs sont parfaits, percutants, c’est tout ce que j’aime. »
3 comptes Instagram inspirants ?
Les artistes ou personnalités avec qui vous aimeriez dîner ?
Alexis : « Pour profiter de cette période de retour à la vie sociale, je ferais une immense table nappée avec Gérard Depardieu, Rudy Ricciotti, Benoît Poelvoorde et Jacques Chirac, tous couchés à 21h, jamais trop sérieux. Dans l’idéal, le dîner est préparé par Francis Mallmann. »
Charlotte : « J’adorerais dîner avec Jacques Grange et, si elles étaient encore parmi nous, j’aurais fait une tablée féminine avec Madeleine Castaing, Andrée Putman et Charlotte Perriand. »
La dernière adresse qui vous a bluffée ou que vous aimeriez découvrir ?
Alexis : « J’ai été ému et obsédé par la maison de verre de Pierre Chareau, rue Saint-Guillaume dans le 7ème. Mais aussi le parc ibirapuera de São Paulo au Brésil. »
Charlotte : « On est allés rendre visite à Marina Assael-Tloupas, la femme du sculpteur Philolaos Tloupas, à l’époque il a entièrement dessiné sa maison. Et pour parfaire la magie l’atelier est rempli de ses sculptures. »
Le lieu culturel où vous pourriez retourner toutes les semaines ?
Alexis et Charlotte : « Sans hésiter, la Villa Necchi Campiglio à Milan. Depuis sa découverte, juste après notre diplôme, notre approche de l’architecture d’intérieur a définitivement changé. Le nom de notre duo vient de là, on est tous les deux tombés raides de cette maison. »
Les décors qui vous ont marqué ?
Alexis : « L’opéra Madame Butterfly de Puccini mis en scène par Bob Wilson. Je me suis cru dans une œuvre de James Turrell pendant presque 3h. Il y a aussi l’imagerie des mises en scène d’Adolphe Appia des années 1910 qui sont sublimes. »
Charlotte : « La villa Malaparte dans Le Mépris de Godard, je pense qu’on peut difficilement faire mieux. Les maisons des films de Luca Guadagnino me font aussi rêver. »
L’architecte qui construirait la maison de vos rêves ?
Alexis : « Philip Johnson sur le toit d’un immeuble classique à Paris et décoré par David Hicks, pour ne pas être trop sérieux. Ou l’inverse, David Hicks décoré par Philip Johnson. »
Charlotte : « Tadao Ando ou John Pawson pour la version brutaliste. Je leur demanderais d’imaginer une maison de vacances tout en béton et surtout qui s’inscrit complètement dans le paysage. »
Pour ou contre Instagram ?
Alexis : « Mitigé, j’essaie de m’en détacher pour me sourcer librement. C’est un outil qui influence énormément, ça devient de l’imagerie collective, une mode mais, pour être honnête, je ne peux pas passer outre. »
Charlotte : « Pour, c’est un outil génial pour communiquer mais, comme tout, il faut bien doser. »