Moitié français, moitié italien, moitié architecte d’intérieur, moitié designer, Joris Poggioli assume sa dualité comme il cultive sa singularité. D’une part via youth éditions, sa maison d’édition lancée en 2017 avec laquelle il explore la joie et la liberté des années 70. D’autre part, avec son studio d’architecture et de design éponyme pour lequel il signe des pièces et des projets à l’énergie plus minimaliste et intemporelle. Exemple ? Sa collection de mobilier Totem inspirée du modernisme américain des années 1930, ou encore un palais indien qui tire ses contours du brutalisme de l’architecture fasciste. Dans cette ambivalence, un fil conducteur demeure : la sincérité de son dessin. Dans la tension d’une ligne, l’intensité d’un coup de crayon, Joris fait l’éloge de la forme et soumet son trait à un seul dessein : transmettre des émotions. Démonstration en conversation.
Quel jour & heure est-il ? Que fais-tu habituellement à ce moment de la semaine ?
« Mercredi, il est 11h30. Comme j’ai la chance de voyager beaucoup, je profite de ce jour central dans la semaine pour venir au studio, échanger avec les filles de mon équipe. »
Ton humeur du jour en 1 mot ?
« Reconnaissant. Parce que 80% du temps je fais ce que j’aime, dessiner, voyager, créer… ».
Comment en es-tu arrivé là ?
« Avant de devenir designer, j’ai fait une école de commerce et j’ai été joueur de rugby professionnel pendant trois ans. À cette époque, je n’étais jamais allé voir une exposition, je n’avais jamais lu de livre. J’étais tellement malheureux pendant mes études. Tout a basculé quand je me suis mis à la photo puis au dessin. J’ai trimé mais aujourd’hui je vis de ma passion et je ne passe plus mes semaines à attendre le week-end. »
Tes envies créatives du moment ?
« Cette question est trop compliquée pour moi. Si je dois choisir entre partir en vacances où je veux, dans un paradis, ou alors m’enfermer à Beaubourg avec tous les livres, juste pour dessiner, je préfère aller à Beaubourg. »
Ta madeleine de Proust ?
« Une tradition très italienne (mon grand-père était italien) : le café au comptoir. Il y a quelque chose d’à la fois très élégant, avec des hommes qui s’habillent pour prendre un café, et de très populaire, puisque tout le monde le fait. Il y a un grand cérémonial autour du café, notamment celui de la tasse chauffée qui change le goût, et le caffè sospeso (café suspendu) qui permet de payer son café pour deux personnes, pour permettre à ceux qui n’en ont pas les moyens de se servir une tasse. Ce souvenir, c’est toute mon enfance en Italie. »
Une gamme de couleur qui te suit depuis toujours ?
« Le noir et le blanc, toujours. J’ai une peur monstre des modes et des tendances. »
« Un palais de 3000m2 pour une famille royale indienne. On a absolument tout dessiné, de l’intérieur à l’enveloppe, en passant par le mobilier, les fenêtres, jusqu’au logo que l’on a incrusté partout, sur les lits, poignées de porte… Il y a une pièce de réception pour les ministres, et un spa qu’on a surnomé “en attendant la pluie” où l’on peut observer les gouttes d’eau tomber à travers un vitrage.
En parallèle, je viens de terminer mon appartement, que j’ai complètement dessiné. On travaille également sur un projet d’hôtel en Toscane, et sur le réaménagement d’une église à Lisbonne pour un particulier. »
Quelles sont les inspirations du palais indien ?
« Au début, les clients nous demandaient des inspirations très italiennes. Mais j’ai insisté pour que l’on cultive l’histoire décorative de l’Inde qui est très riche. On a fini par trouver un compromis. On s’inspire d’un côté, de l’iconographie et de l’histoire du maharajah d’Indore (qui a fait l’objet de l’exposition “Moderne Maharajah” au Musée des Arts Décoratifs en 2020). Le couple m’y fait beaucoup penser car ils ont cette volonté de faire travailler les jeunes artistes et de célébrer la culture indienne. D’un autre côté, on s’inspire du brutalisme de Mussolini, des palais nouvelle génération des années 30 de l’époque fasciste. »
Selon toi, qu’est-ce qui a façonné ton goût ?
« Quand j’ai commencé à pousser dans l’artistique, je me suis rendu compte que j’avais un oncle éloigné qui était sculpteur, et c’est lui qui m’a sculpté. La sculpture m’a un peu appris tout ce que je fais. »
Forme, fonction ou fantaisie ?
« La forme. Pour moi c’est absolument tout. Quand je prends un bout d’argile, je sculpte une forme dans laquelle je mets de la tension, de la joie, de l’érotisme, de l’énervement… À travers la forme d’un objet, je peux transmettre des émotions à des personnes que je n’ai jamais vues, et ça a une puissance folle. La poignée de porte dans un grand château sera souvent en fer forgé, douce, mais elle va donner du caractère à la maison par sa forme. »
Tes derniers coups de cœur artistiques ?
« Le travail d’Ezio Gribaudo avec des paysages et des couleurs qui parlent de l’Atlas et du Nevada. Il a récupéré de vieux papiers, de vieilles radiographies, a commencé à jouer avec, et ça a créé une espèce de vitalité lumineuse dans ses œuvres grâce aux couleurs qu’il a utilisées. »
Le film Les filles d’Olfa, réalisé par Kaouther Ben Hania avec Hend Sabri, Olfa Hamrouni. Un peu glauque mais très profond qui parle d’une famille tunisienne très féministe dont les filles finissent par se convertir à l’islamisme radical, se marient avec des membres de Daesh… ».
Le dernier créateur que tu as repéré ?
« Le collectif français Bleu Désert. Trois jeunes réalisateurs parisiens qui réalisent des clips incroyables. »
Les artistes et décorateurs qui t’influencent ?
« Rick Owens, Frank Lloyd Wright, Josef Hoffmann. »
Les artistes, personnalités avec qui tu aimerais dîner ?
« Anthony Robbins, parce que la psychologie me fascine. C’est lui qui a écrit le livre « Pouvoir illimité » que je relis tous les ans. Il parle de la PNL (programmation neuro-linguistique) de façon très moderne. Ça a été le préparateur mental notamment de Michael Jordan, de Mike Tyson, de Mandela…
Sinon la sculptrice britannique Barbara Hepworth, et le peintre italien Ettore Spalletti. »
La dernière adresse qui t’a bluffé ?
« Le Palais El-Badi que j’ai visité récemment à Marrakech. Maria Grazia Chiuri, la directrice artistique de Dior, y a organisé un défilé en 2019. »
L’architecte qui construirait la maison de tes rêves ?
« Moi. Personne d’autre ne fera ma maison ! Mais s’il y a un architecte qui m’inspire, c’est Tadao Ando. »
Une scénographie qui t’a marqué ?
« Celle du dernier défilé Saint Laurent. »
Le magazine qui traîne sur ta table basse ?
« Neptune Papers, un magazine lifestyle créé par Daytona Williams. Il fait des reportages un peu partout dans le monde en parallèle de son travail. D’ailleurs j’ai la chance d’être dans le numéro quatre. »
Ta dernière séance de cinéma ?
« Dune II. »
Des musiques à écouter en boucle ?
« Autumn Leaves de Chet Baker & Rose Quartz de Toro Y Moi. »
